Présidentielle vue du Canal Saint-Martin: les SDF sont aussi des électeurs (REPORTAGE) Par Sophie LAUTIER
PARIS, 5 avr 2007 (AFP) - Sur les bords du Canal Saint-Martin dans le centre de Paris, des sans domicile fixe affectent un désintérêt vis-à-vis des politiques qui les ont "déçus", mais ils suivent pourtant la campagne présidentielle et certains iront même voter."Je n'ai pas été inscrit pendant des années", reconnaît Jean-Marc Restou, 54 ans, qui revendique une ascendance "bourgeoise", 26 ans de rue et 12 ans d'adhésion au PS entre 1975 et 1987. Adepte de la manche dans le VIIe arrondissement, "déçu de la gauche", il ira peut-être voter Bayrou.
"C'est le seul qui n'a pas de programme, il va devoir prendre dans chaque camp pour remonter le pays... comme de Gaulle", ironise-t-il.
Sans avoir fait le pas d'adhérer à un parti, comme Jean-Marc Restou, "beaucoup de SDF n'en savent pas moins qui est qui, ils ont un regard politique pointu, même sur leur situation", assure Jacques Deroo, ex-SDF et fondateur de l'association Salauds de Pauvres.
Exaspéré d'entendre les SDF penser qu'ils n'étaient "plus des citoyens", il en a fait inscrire 561 exactement sur les listes électorales en décembre à Paris, opération possible car "quasiment tous ont une domiciliation pour toucher le RMI".
Marco Russo est dans ce cas: après deux années de prison et de privation de ses droits civiques, purgées en 1996, il n'avait pas songé à se réinscrire.
Convaincu désormais d'être "moins invisible", il a décidé de voter "Bové", dont il a trouvé le discours "intéressant quand il est venu sur le canal", ou "Bayrou, le plus sincère".
Comme de nombreux SDF, il dénonce le "cinéma" des deux candidats vedettes, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, alors qu'il aimerait entendre parler sérieusement "du chômage, des usines qui ferment, de la précarité qui ne touche pas que les SDF mais beaucoup de gens sur le fil du rasoir".
Selon Marco Russo ou Jacques Deroo, "beaucoup de SDF naviguent entre Le Pen et Sarko, parce qu'ils disent qu'on va faire pour les Français d'abord" mais en discutant, "certains changent parfois d'avis".
D'autres ont le coeur ancré à gauche mais sont "désillusionnés", à l'image de Gaële Nicolas, intermittente du spectacle, qui erre entre les tentes igloo et les logements de dépannage. "Si seulement les bulletins blancs étaient comptabilisés.... Y'a des chances, je veux dire de la malchance, pour que je vote Ségo. Pour être sûre de ne pas avoir Sarko", résume cette jeune femme, qui n'a jamais raté une élection.
Pierre Vinçon, 30 ans, routard et "un peu anarchiste", hésite encore entre "le candidat qui lui correspond" ou "un vote utile", après avoir voté en 2002 pour "un petit parti et l'avoir regretté".
"Apolitique", c'est ainsi que Thierry Canella, 42 ans, qualifie le bout de trottoir allant de sa tente à son petit buffet. Mais dire les choses ainsi, "c'est déjà faire de la politique", reconnaît-il, lui qui récupère les journaux - "même le Herald Tribune" - dans la poubelle voisine.
Ses papiers égarés depuis 1991, Thierry n'a pas de carte d'électeur mais aimerait que "les jeunes aillent voter et ouvrent leur gueule". "Si les anciens laissent la jeunesse croupir sur place, l'eau va s'évaporer et il en restera rien", explique Thierry, qui souhaite un "président ou une présidente jeune".
Pour Laurent, électeur assidu, le choix va être ardu: "Sarkozy, j'le sens pas, Ségolène Royal, j'la sens pas prête, Bayrou, j'sais pas ce qu'il peut donner, et Le Pen j'en veux pas!". Mais il attend, "sans trop y croire", du (de la) nouveau(elle) président(e) la création d'un "ministère dédié à la lutte contre l'exclusion pour aider ceux qui veulent s'en sortir".
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